C’est une image que j’emprunte à Amanda Palmer. L’art, dit-elle, c’est prendre des bouts de réel et les mettre dans un blender. Le blender a dix niveaux de puissances et certains artistes modifient à peine le réel tandis que d’autres trouvent même un onzième cran et inventent des mondes entiers.
Ma latitude personnelle est entre 3 et 8 je dirais, avec des histoires qui tordent à peine les événements et d’autres qui broient les frontières de l’existant pour le transformer en métaphore.
Récemment, j’ai réglé mon blender sur 2 pour souligner une réalité simple: moi aussi j’en bave pour écrire. Ce n’était pas dans une oeuvre de fiction, c’était dans un mail adressé aux auteurs à qui j’enseigne et que j’accompagne dans leur devenir-auteur. Alors comme je parlais du réel, j’ai été négligent sur la partie fictionnelle.
Et parce que j’avais laissé tous ces gros morceaux de réalité dans la purée, j’ai blessé quelqu’un à qui je tiens, même si je ne le montre pas souvent.
Je vais débrancher le blender le temps de cet article, pour remettre les choses à leur juste place et j’espère réparer un peu.
Quand je suis parti de mon mariage, je travaillais à mon compte et j’avais des obligations deux soirs par semaine et trois weekend par mois. Ma femme, elle, travaillait pour un patron et avait des horaires plus classiques. Genre 9h-18h du lundi au vendredi, même si souvent le 9h-18h se changeait en 9h-20h, ou peut-être plus. Je ne faisais pas trop attention. J’étais déjà parti dans ma tête et ça m’allait qu’elle rentre tard.
Quand il a fallu décider quand notre fils serait chez l’un et quand il serait chez l’autre, il était clair pour tous les deux qu’il fallait qu’on soit au plus proche d’un 50/50. Il s’en est suivi un calcul complexe que je n’ai pas vraiment suivi, fait de journées pleines et de demi-journées, selon qu’il y avait école ou non.
On s’est entendus sur le fait que trois weekend par mois il serait avec elle puisque j’avais des stages, et que le quatrième weekend il serait avec moi. La semaine, il serait avec moi tous les soirs sauf les soirs où j’avais des ateliers, le lundi et le jeudi. Et puis j’ai bougé mes ateliers et c’est devenu les lundi avec elle et du mardi au jeudi avec moi.
Les vendredi, trois fois par mois avec elle, et une fois avec moi.
Et les vacances scolaires, puisque j’ai plus de libertés sur le papier (ie pas de patron qui puisse m’imposer mes dates), il est avec elle trois semaines l’été et une semaine à Noël et le reste des vacances avec moi.
Avec cette nuance les jours de semaine où je suis à l’école à 16h même les jours où il dort chez sa maman, qui le retrouve quand elle sort du travail.
C’est le découpage objectif.
Et le découpage objectif, c’est la partie facile.
Parce que derrière il y a la réalité émotionnelle de chacun, les frustrations de chacun, les colères de chacun et les perceptions biaisées de chacun.
Je vois les journées de travail qui s’arrêtent à 15h30. Elle voit les semaines de vacances où je confie notre fils à mes parents.
Je vois la régularité de sa paye, elle voit la flexibilité de mon temps. Je vois le confort d’organisation que je lui offre au quotidien, elle voit qu’elle s’adapte à mes semaines de mission à Paris, de formation en Angleterre.
Chacun regarde le monde de l’autre avec son regard et moi j’ai souvent un regard dur et accusateur. Et comme j’ai plein d’insécurités, en particularité dans la parentalité, et qu’elle a plein de certitudes, je me sens perdu. Et seul.
Alors je dis ma détresse et j’oublie de me tourner vers la seule personne qui pourrait l’alléger: elle. Parce que même si nous sommes deux adultes séparés, nous restons deux parents soudés. Et que même si nos vies sont désunies, notre mission commune, celle sur laquelle ni l’un ni l’autre n’avons bougé d’un millimètre, c’est de donner toute son autonomie à ce petit être que nous avons créé.
Et franchement, on fait plutôt une bonne équipe. Chacun apporte ses forces à l’équation et nos modes de vie se complètent assez bien pour offrir un panel d’expériences richissime à notre bambin.
Je ne sais pas comment on trouvera le sentiment d’équité dans cette histoire parce que peu importe la réalité objective, nos regards sont teintés par nos blessures et nos préoccupations respectives.
En attendant, parce que je vois tellement de couples qui se mutilent en se séparant, qui n’ont pas l’intelligence de reconnaître leurs blessures comme leur appartenant, qui projettent sur l’autre tous les maux de la Terre, je peux te dire Merci.
Merci d’être à l’écoute.
Merci de parler avec ton coeur.
Merci d’avoir été là ce jeudi soir à Saint Augustin.
Merci pour les pirates du 15 juillet.
Merci de rester sur le chemin avec moi. J’oublie souvent que tu es là, j’oublie que je peux tendre la main vers toi. En fait non. J’ai peur que tu mordes cette main, que tu profites de ma détresse pour m’enfoncer la tête sous l’eau. Alors j’oublie de voir les tiennes, de main tendue, de peur.
Et pardon. Pardon pour le blender sur 2. Pardon de ne pas avoir pu être le partenaire que tu aurais voulu.