Aimer la tempête

Le discours de fond de la recherche du bien-être me dérange. Il y a quelque chose que je ne comprends pas : pourquoi rejeter la moitié au moins de l’existence à « ça va passer », « cultivez l’espoir que les beaux jours reviendront » ?

N’apprécier que le grand soleil et la brise légère et tiède, cela revient à souffrir quand le temps change.

« Après la tempête le beau temps » ne nous apprend pas à aimer notre existence. Vraiment l’aimer. L’aimer sans condition. Aimer chaque victoire ET chaque défaite, aimer chaque moment de calme ET chaque moment de chaos. Aimer la certitude ET aimer l’incertitude. Ressentir de la joie dans la joie ET dans toutes les autres émotions.

Cela ne signifie pas que la tempête soit confortable, qu’on n’y grelotte pas de froid, trempé jusqu’à la moelle, éreinté par l’effort.

Seulement que l’on apprenne à aimer la vie dans tout ce qu’elle a à nous offrir, sans chercher de sens (on n’aime pas la tempête parce qu’elle nous rend plus résilient), uniquement parce que l’on est vivant, présent pour faire l’expérience du chaos autant que celle de l’ordre, et parce que l’on possède le don de percevoir la beauté dans toute chose.

« Le poète ne recherche rien d’autre que la conscience […]. Ils ne présentent pas leur art de façon à le faire paraître réel ; ils montrent le réel de telle sorte que celui-ci se révèle en tant qu’art. » (« It is nothing other than awareness that poets-that is, creators of all sorts-seek. They do not display their art so as to make it appear real; they display the real in a way that reveals it to be art.” (James P. Carse)

Vivre est un tout, un labyrinthe, un parc d’attractions cosmique. Nous avons le choix de fermer les yeux quand les manèges vont trop vite ou celui d’hurler d’effroi joyeux en levant les bras pour que la traversée soit encore plus amusante.

Je n’en peux plus des discours qui érigent en condition du bonheur le confort d’une vie sans désagrément. Ni ceux qui prônent le détachement émotionnel (ou pire, la gestion des émotions). Je ne suis ni zen ni stoïcien. Je le suis d’autant moins que j’ai pratiqué ces deux courants pendant une décennie et qu’ils m’ont apporté précisément ce qu’ils promettent : le détachement. Qui m’apparaît aujourd’hui comme une fuite, une manière de survoler l’existence, pas de l’empoigner.

J’en garde des outils qui aident à rester à flot quand le chaos se fait trop menaçant. Des outils, pas une finalité.

Je n’en peux plus de la psychologie positive qui vise à gommer tout ce qui donne de la profondeur, du relief et de l’intérêt à l’existence : ses surprises, ses défis, ses invitations à jouer avec elle.

Je ne suis pas venu dans cette vie pour m’avachir devant le spectacle morne d’un quotidien contrôlé. Je suis venu pour vivre. Rencontrer l’altérité, me heurter aux murs de l’incommunicabilité, me passionner pour des choses absurdes, collecter et inventer des histoires.

Pas pour me conformer aux règles d’un système qui exploite, ravage, avilit l’Homme et la Nature, mais pour vibrer, traverser des tempêtes et des périodes de calme plat autant que des périodes où le vent arrière me donne l’impression de voler au-dessus des Océans.

Si je ne suis, comme je l’espère, qu’à la moitié de mon existence, je compte bien me débarrasser des derniers lambeaux de mon désir d’appartenance à des paradigmes qui ne me conviennent pas et exulter aussi bien au plus dur d’une tempête vorace qu’au plus doux d’un après-midi de gourmande sensualité.