Je veux m’élever dans les rangs de la littérature. Finir mes romans. Les faire publier. Accéder à la célébrité relative du romancier à succès. Pour cela, il faut travailler. Vaincre l’inertie, le doute, la peur d’échouer. De perdre son temps. De mourir à cause de la déception des refus. Il faut se projeter. Je dois lutter. Insister. M’acharner. Je sens la pression des tenants de l’autocompassion, de l’autotolérance, de l’amour inconditionnel de soi, de la douceur. Mais est-ce s’aimer que de tolérer ses propres complaisances ?
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J’écris par obstination. J’ose croire par talent. Sûrement par nécessité (si je ne les écris pas, les pensées pourrissent dans ma tête). Par goût, par orgueil, et parce que j’ai appris à le faire et que ce serait du gâchis que de ne pas utiliser mon savoir-faire.
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Je veux, dans dix ans, être un romancier populaire, à succès. Un million de livres vendus. De la reconnaissance. L’auteur que l’on suit, que l’on regarde, que l’on écoute.
Le plan, si toutefois, j’en ai un, sera de proposer des romans à X., d’abord. Peut-être à la Y. De X., je grimperai vers d’autres sphères. Ou je resterai loyal. Je n’exclus rien.
Pour cela, de quoi ai-je besoin ? D’argent pour effacer les distractions du quotidien. De temps vide par longues lampées. D’une pratique quotidienne rigoureuse : écriture, réécriture, clarté des intentions, me heurter la tête contre les murs. De mouvements. Des gens pour agiter des idées. De couper l’Internet — sauf pour la musique. La musique est essentielle. De silence. De solitude. De m’isoler avec du papier, de l’encre, des pixels.
De noircir des pages de caractères à m’en dégoûter. De vomir la vacuité de mes mots. De persévérer. Jusqu’à ce qu’apparaisse un motif. Alors, réécrire. Sans relâche ni pitié. De dormir et manger peu. De tenir sur le fil. De me dépouiller de toutes mes censures. De ressentir. Vibrer. Respirer. M’émouvoir. Enrager. Bander. Pleurer. Hurler. Frapper le clavier comme possédé par un démon de dactylographie. À vive allure. À vivre allure.