Ce qui nous effraie le plus, notre vulnérabilité, a le pouvoir de nous couper de nos amitiés les plus précieuses. Lorsque la terreur prend le dessus elle invite des rationalisations fallacieuses, des argumentations internes en forme de justification qui sont les plaques de métal que nous dressons face aux miroirs de notre psyché pour éviter de regarder notre reflet, déformé par la peur, pour éviter de découvrir le monstre que nous devenons lorsque la terreur s’empare de nous.
Mais la peur est une émotion simple, qui émet un message simple. Et accepter d’entendre ce message est la première étape vers l’apaisement. Formuler sa peur, pleurer face à la possibilité de sa réalisation, permet de lâcher prise sur l’anticipation qui nous terrifie. Quel est le pire qui puisse arriver si ce que nous craignons se réalise ? Que nous souffrions au point d’en mourir ?
Le mieux qui puisse nous arriver est souvent que notre peur se réalise, que, pris dans la réalité de notre peine, de notre isolement, de notre échec, nous prenions conscience, par l’expérience, que nous survivons, nous nous adaptons, nous devenons davantage serein et authentique et ouvert de cœur et d’esprit. La peur isole et enferme, la peur nous pousse à créer des distances avec les gens que nous aimons, pour nous éviter la souffrance de leur disparition, alors nous vivons petitement. Alors nous n’osons pas. Nous n’osons pas aimer, nous n’osons pas partir, nous n’osons pas sauter vers la prochaine branche que nous tend notre vie.
C’est qu’il y a un gouffre entre la branche sur laquelle nous nous tenons et la branche d’à côté, et nous sommes bien certain que ce gouffre nous happera si nous sautons. Nous ne savons pas, bien sûr, si nous sommes capables d’un bond assez puissant pour passer le gouffre, nous vivons dans l’ignorance de nos ressources réelles alors nous préférons craindre le pire ne rien tenter.
La vie est pourtant plus riche lorsque nous osons être nous, lorsque nous entrons dans notre propre lumière, et que nous la laissons rejaillir sur les autres.
Je connaissais le principe selon lequel “quand tu entres dans ta lumière, tes proches, se sentant menacés par elle, feront tout pour t’éteindre” mais jamais je ne l’avais vécu aussi fort qu’avec lui. Et cela demande du courage que de persister dans son authenticité lorsque la peur de l’autre est activé par elle, lorsque sa peur le rend sourd à votre bienveillance.
Être soi, c’est aussi, par contraste, permettre à ceux qui n’osent pas l’être, de voir le chemin qu’il leur reste à parcourir, un chemin qui passe par leurs zones d’ombre et leurs peurs, et leur envie de plaire, et la réalisation que plaire n’est pas le but. Et ils peuvent vous en vouloir de leur éclairer le chemin, parce que dans la lumière de votre authenticité ils voient bouger les tentacules de leurs effrois, ils voient s’allonger les ombres de leurs monstres personnels, comme ces arbres qui paraissent prendre vie quand Blanche Neige s’enfuit dans la forêt.
Dans ces moments-là votre propre peur peut vous pousser à mettre un abat-jour sur votre authenticité, à museler votre voix, parce que vous pensez que protéger l’autre contre lui-même est votre responsabilité alors que c’est tout le contraire. Votre responsabilité c’est de vivre à fond, d’oser briller, d’être dans le rayonnement de toutes vos ressources, de tout donner de vous. Votre responsabilité c’est de vous élever sans cesse vers une expression plus radicale de votre singularité. Peut-être que vous servirez d’exemple, de phare dans la tempête, de guide, ce n’est pas la finalité. Si vous pensez en ces termes c’est encore votre ego qui domine.
Votre ego veut contrôler, il veut un monde confortable dans lequel tout se plie à sa volonté, il veut un monde dans lequel on le flatte et on l’adule et on l’aime. Votre Soi veut simplement être et s’exprimer.
Alors soyez. Entrez dans votre lumière et si d’autres en prennent ombrage, laissez-les faire leur propre apprentissage. Peut-être que vous perdrez certains amis, peut-être que vous les regarderez s’enfoncer dans leur pénombre en crachant et en sifflant vers vous, possédés par la terreur, comme ces créatures allergiques au soleil qui se réfugient dans les cavernes et les grottes en crachant contre le soleil.
Dans la lumière qui est l’amour inconditionnel et compassion universelle, vous accueillerez leur peur et accepterez que leur chemin n’est pas le vôtre, et que vous n’avez aucune responsabilité dans leurs choix, leur apprentissage, leur maturation. Vos chemins peuvent se croiser, se décroiser, se séparer, se retrouver, ils peuvent être superposés ou parallèles, ils peuvent être en opposition, en contradiction, ils peuvent se heurter ou se caresser. Ça n’a pas d’importance. Ce qui importe c’est d’offrir le meilleur de vous, le plus authentique, d’accueillir vos compagnons de route avec enthousiasme, et cela ne signifie jamais que vous deviez vous diminuer pour rendre leur chemin plus confortable.
La peur est une chose terrible quand elle nous déborde et nous envahit, elle nous fait perdre notre discernement et notre clarté, elle nous plonge dans un brouillard de perceptions contradictoires, elle amplifie la cacophonie de l’écho, elle active les missiles sol-air et les sol-sol et les air-sol et les mines antipersonnelles et elle brûle au lance-flammes le village et les villageois, sans réflexion, sans recul, sans attention. Au sortir de la peur, la tête nous tourne et nous réalisons avec effroi le mal que nous avons répandu.
La prochaine fois que vous ressentirez l’effroi, la prochaine fois que votre ego cherchera à rationaliser l’absurde, demandez-vous ce que vous craignez et exprimez-le avec honnêteté et simplicité.
Le jour où j’ai exprimé ma peur: “si je ne réussis pas, j’ai peur de prendre la décision du suicide”, elle s’est évaporée. Reconnue, elle n’a plus ressenti le besoin de me hanter, comme ces fantômes coincés sur les lieux de leur injustice personnelle, qui attendent d’avoir résolu ce qui était en suspens à leur mort avant de s’évaporer dans la lumière de la dissolution.