« Je dois vérifier avec mon mari si je peux »
« N’écris pas à ma copine dans mon dos »
« Hey, vous pourrez vous voir jeudi soir, je bosse, donc elle sera toute seule »
Bullshit, bullshit, bullshit, buuuuuuuulllshit.
Ceci est la violence quotidienne, discrète, silencieuse, invisible parce qu’ancrée dans une culture qui valorise la maternance, qui confond compassion et surprotection, qui nous pousse à rester à l’état d’enfants incapables de nos propres responsabilités.
Les hommes qui écrasent les femmes, qui leur interdisent ci ou ça, les femmes qui culpabilisent les hommes, qui leur reprochent ci ou ça, révèlent leur terreur absolue de se choisir eux-mêmes. Mieux vaut créer autour de soi un cocon confortable dans lequel chacun anticipera, dans lequel chacun taira et prémunira les uns et les autres contre leurs peurs, leurs fragilités, leurs inquiétudes, plutôt que de se confronter à la lumière des autres, de ceux qui osent la responsabilité, et de prendre la mesure du chemin qu’il nous reste à parcourir pour grandir.
J’ai eu la chance de choisir des amis plus grands que moi, des gens qui ne m’ont pas laissé les convaincre de me protéger. J’ai compris sur le tard que l’on me maltraitait lorsqu’on m’empêchait de découvrir mes insécurités, mes vulnérabilités. J’ai appris que là où c’est à la fois délicieusement attirant et amèrement effrayant, c’est exactement là où je dois aller. Il y a du mystère là-dedans, je veux dire c’est compliqué de bien comprendre cette notion de se confronter à ses peurs et à ses zones d’inconfort, parce qu’il y a beaucoup de peurs qui sont bonnes, en fait, et faire le tri n’est pas facile avant d’avoir eu le privilège de vivre plusieurs expériences de croissance via l’inconfort ; cela aide à distinguer entre l’inconfort qui fait grandir et celui qui protège.
Cesser de prendre l’autre comme son airbag émotionnel
Cesser de chercher à plaire
Cesser de faire semblant
Cesser de se taire
Cesser de se censurer
Cesser de jouer petit
Parce qu’il y a, derrière cette culture de l’omerta, du tu, du surtout-ne-risquons-pas-de-blesser-ou-déranger-l’autre une culture de l’amoindrissement de soi, de l’appauvrissement de sa destinée, de l’avilissement de son âme.
Nous ne sommes pas sur Terre pour nous sentir « bien », nous ne sommes pas sur Terre pour vivre une expérience en monochrome, dans le rassurant bourdonnement de notre flatline émotionnelle. Nous sommes ici pour changer le monde. Pour planter des arbres, pour révolutionner les paradigmes, pour bannir les voitures et le pétrole et le travail des enfants, et le viol, et la violence domestique (physique ou psychologique, des hommes sur les femmes ET des femmes sur les hommes), et la violence tout court.
Le weekend dernier c’était le festival du tantra à Londres et cette année, je n’y suis pas resté mais le fait d’y avoir été m’a rappelé quelle était ma quête spirituelle: transcender la peur, être alchimiste de l’amour, cette force qui permet de changer le petit en grand, l’effroi en confiance, les limitations en audace et en ambition.
Je m’y suis fait tatouer le cap Horn à l’intérieur du bras, pour me rappeler que vivre c’est tenter l’impossible pour relier l’humanité à elle-même, pour ouvrir les routes plutôt que de dresser des murs, parce que nous sommes en interrelation.
J’écoutais Peter Thiel parler des grands projets de ce siècle: l’exploitation minière des astéroïdes, l’allongement de l’espérance de vie, la fin de la mort, l’installation de l’humanité sur Mars, et je me disais: moi, avec mes livres, je fais pale figure, je veux rêver plus grand.
Et je me suis souvenu que mon obsession, c’est la réinvention des paradigmes relationnels, la fin de la dialectique du genre, le développement du respect mutuel, même dans le désaccord, à tout âge, dans toute culture, pour tous et avec tous. Et je me suis dit: quand on sera sur Mars, quand on vivra trois cents ans, si l’on ne sait toujours pas être ensemble, rien n’aura changé que la surface des choses.
Alors j’ai regardé mes amis, j’ai regardé ma famille, j’ai regardé les gens, et j’ai vu le potentiel magnifique de cette humanité, capable d’apprendre la responsabilité, capable d’apprendre à dire: « J’ai ressenti de l’inconfort, quelles sont les insécurités sur lesquelles je peux travailler, ou avec lesquelles je peux apprendre à vivre ? » plutôt que: « Tu m’as fait ressentir ça ».
J’ai grandi dans une famille où le secret et le silence étaient la règle, où l’on n’avait pas le droit de parler des sujets sensibles, parce que … parce que quoi au juste ?
Je ne suis pas sûr que nous le sachions.
Je crois que c’est davantage pour s’éviter, à soi, le désagrément d’une conversation audacieuse que pour éviter à l’autre l’inconfort de ses propres insécurités.
Bref. En 2017 les hommes et les femmes croient encore pouvoir se posséder les uns les autres et s’inquiètent davantage de savoir comment ils peuvent museler les désirs, l’autonomie, la beauté et la lumière de leurs compagnons de route que de savoir comment ils peuvent s’inspirer de la puissance de vie de leur entourage pour développer la leur. Et ça, ça me met en colère.