14.6.23

Un terme m’a longtemps interrogé : « torturé » lorsqu’il est employé pour désigner les personnes introspectives.

« T’es torturé, toi », m’a-t-on parfois dit.

« Non ».

Torturé implique une forme de souffrance. Il semblerait que les questions sans réponse qui accompagnent la curiosité existentielle soient intenables pour certains.

Qu’elles engendrent des angoisses qui les perturbent. D’où il découlerait qu’une personne qui consacre du temps à ces questions en souffrirait et serait « torturée ».

La torture implique un bourreau, une souffrance subie. Comme si l’individu qui s’adonne à l’exploration existentielle subissait son penchant. Comme s’il en était victime.

Peut-être qu’un certain imaginaire romantique est en cause derrière cette image. Les philosophes allemands de l’époque victorienne ne s’expriment pas avec beaucoup de jovialité. On lit Hegel et on a envie de lui faire un câlin.

Mais on peut se pencher sur les grandes questions de l’existence (et les petites), on peut remarquer les travers de la culture, on peut souhaiter un autre rapport à l’existence sans se sentir victime. On peut même vivre l’angoisse sans en souffrir.

L’angoisse c’est un effet du vide. Comme le vertige. D’ailleurs je parle plus volontiers de vertige que d’angoisse. Parce qu’il y a ce gouffre sous nos pieds qui s’ouvre quand on réalise à quel point le socle sur lequel reposent nos identités est fin, fragile, arbitraire, fugace. Le vide inquiète.

L’humain ne se sent pas fait pour le vide. Il craint la chute autant que l’atterrissage. Ce n’est pas l’angoisse qui fait souffrir. C’est le sentiment d’impuissance face à l’inconnu. Tout comme ce n’est pas le vide qui donne le vertige, c’est le sentiment d’impuissance face à la chute.

Cela s’apprivoise. La proximité avec l’abîme. Le sentiment d’impuissance. Si l’on cesse d’en faire un problème. Si l’on accepte la possibilité d’une chute, alors la souffrance n’a pas de place.

On peut explorer les franges de l’existence sans souffrir, sans subir. Au contraire, on peut y aller volontiers. Plonger dans les abysses de nos psychés comme d’autres explorent les fonds marins.

Dit-on des plongeurs qu’ils sont torturés ?

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