Transformations

Celui que j’étais a pris des décisions dont a hérité celui que je suis.

Les conséquences de ces décisions m’échoient. Les élans amorcés par ces décisions offrent une avenue à grande vitesse que je peux suivre sans la questionner, sans interroger la pertinence du chemin choisi par celui que j’étais, cet autre avec lequel je partage une parenté involontaire. Ou je peux ralentir. Observer les nouveaux embranchements inventés par celui que je suis devenu, d’autres routes, moins praticables, plus en friche, des chemins en réalité. Choisir. Choisir une orientation de vie qui me correspondra mieux.

La continuité identitaire n’est pas une chose facile à comprendre. Quelle part de moi demeure ? Quelle part de moi change ? Suis-je le même parce que je ne change pas ou ai-je changé parce que je suis demeuré identique ?

La loyauté qui m’unit à mon passé et à mes visions d’avenir me bloquent la vue sur mon présent.

Je retrouve des sensations d’avenir que j’avais oubliées. Un désir d’être qui me frappe par sa justesse et son authenticité. « C’était cela que je voulais être il y a vingt ans » ; « C’est encore cela que je cherche aujourd’hui ». Je n’ai pas rien fait pendant vingt ans, j’ai essayé plusieurs façons d’accomplir ma vision. Il n’y a qu’aujourd’hui, véritablement, ce 26 septembre 2018, que je retrouve les sensations exactes de cet horizon.

Tous les chemins biscornus qui m’ont mené à ce jour, les autobus et les superjets avec lesquels j’ai arpenté le monde m’ont dirigé vers d’autres horizons, des horizons qui n’étaient pas familiers, qui n’étaient pas les miens. Il faut en passer par là. Peut-être. Comparer l’horizon des autres au souvenir de son propre horizon – parce que je ne crois pas que l’on décide de sa destination, l’on s’en souvient – et ajuster le cap jusqu’à se sentir sur la bonne route. Elle n’est bonne qu’en tant qu’elle se prolonge jusqu’à l’horizon que l’on connaît, dans lequel l’on se reconnaît.

C’est bien de cela qu’il s’agit : se connaître à nouveau, faire connaissance avec soi encore et encore et encore au gré des tempêtes et des houles qui nous détournent de notre vérité profonde, celle qui résonne en nous comme l’écho d’un sonar.

J’ai parlé avec C. hier. Il est dans l’un de ces moments de vie où son horizon lui échappe et il se sent impuissant. Il ne veut pas modifier les modalités de sa vie d’aujourd’hui en faveur de sa vie de demain.

Il y a là un problème que je rencontre souvent : les gens aspirent à d’autres vies mais ils ne sont pas prêts à sacrifier leurs acquis, même lorsque ces acquis les empêchent d’avancer. Oui, bien sûr ce n’est pas agréable de passer de 120m2 à 60m2, mais je trouve plus désagréable de me maintenir dans un état d’insatisfaction existentielle, de m’empêcher d’explorer les possibles de ma vie, d’aller voir ce dont je suis capable.

« […] Alice était entrée dans une petite chambre bien rangée, et, comme elle s’y attendait, sur une petite table dans l’embrasure de la fenêtre, elle vit un éventail et deux ou trois paires de gants de chevreau tout petits. Elle en prit une paire, ainsi que l’éventail, et allait quitter la chambre lorsqu’elle aperçut, près du miroir, une petite bouteille. Cette fois il n’y avait pas l’inscription BUVEZ-MOI — ce qui n’empêcha pas Alice de la déboucher et de la porter à ses lèvres. « Il m’arrive toujours quelque chose d’intéressant, » se dit-elle, « lorsque je mange ou que je bois. Je vais voir un peu l’effet de cette bouteille.« 

Plutôt que de chercher la stabilité et le confort de la routine (même si je reconnais et encourage les bienfaits de la routine dans réalisation de ses aspirations), et si nous cherchions la transformation et la nouveauté.

La peur que le changement nous amène à des circonstances matérielles moins satisfaisantes nous empêche d’agir même si nous y gagnerions en circonstances émotionnelles. À mieux écouter mes aspirations, j’apprends à sacrifier le matériel. De quoi ai-je réellement besoin pour me sentir épanoui ? D’écrire mes livres, de lire des livres, et de passer du temps dehors ; de voir mes amis, de les écouter et de leur partager mes expériences.

Le reste c’est du bonus.