S’endormir en écrivant

L’écriture c’est cette danse à cheval entre veille et sommeil, une sorte de transe ou de rêve éveillé. Quand je commence à écrire, après avoir procrastiné un plus ou moins long moment, quand je commence à entrer dans la justesse de l’histoire, je sens mes paupières qui se ferment et mon corps qui se détend. Relâche et relaxation. Je m’endors, parfois. Souvent.

Quand je sors d’une séance d’écriture, je me souviens rarement de ce que j’ai écrit. Je dois le relire pour le découvrir. J’y retouche à peine, je veux dire, j’y retouche beaucoup en apparence, mais pas dans le fond. Le truc avec la narration, c’est qu’elle sert de cheval de Troie au point de vue de l’auteur.

Quand je reprends mon texte, je commence toujours par comprendre ce qu’il cherche à exprimer, quelle vision du monde (quelle part de ma vision du monde) il porte. Ça je n’y touche pas. Je cherche à modifier le moins possible la structure et je m’en donne à cœur joie sur la forme. Je change les décors et les nuances, et les dialogues, et la mise-en-scène. C’est plaisant, c’est ludique et c’est un travail de finesse. Changer une virgule, un mot, un détail de la scène. Ce travail, personne ne le verra la plupart du temps, parce qu’il est fait pour être invisible, mais il change l’expérience, même si ce n’est qu’à peine.

Le travail de l’auteur de fiction c’est de fabriquer des expériences pour son lecteur, pas uniquement de lui transmettre des informations, et c’est ce qui rend ce travail si important et plaisant et nécessaire, et difficile.

Ce n’est pas qu’en écriture. Les frontières sont perméables. Cet état d’abandon à l’intuition, à la connaissance inconsciente, j’essaye de l’appliquer dans ma vie, de me laisser guider par cette intelligence qui m’habite (qui habite chacun de nous) et qui est capable de traiter une quasi infinité de données à chaque seconde.

Décider de quitter une soirée ? Je ne sais pas ce qui fait naître cette sensation que c’est le moment, au-delà ce sera trop long, au-delà ce sera moins bien.

Lorsque j’entre dans une escape room, c’est la même intelligence qui opère. Le temps est précieux. J’en gagne en n’analysant pas, en laissant les réponses apparaître en moi. Transe. L’inconscient mène la danse.

Dans une société et une culture valorisant la pensée rationnelle (et elle a raison de le faire pour plein d’excellentes raisons), cela exige tout un travail que de réapprendre à écouter son intuition, que de réapprendre à ressentir et laisser surgir ce qui est nécessaire à notre apprentissage et notre épanouissement.

Vivre comme en transe. Un nouveau programme existentiel. Mais pas une transe qui détache du monde, un transe qui nous reconnecte à lui.

Stratégie de la moindre résistance

Se connecter à Soi c’est ouvrir le champ d’une vie sans friction. Là où l’inconscient nous amène, nous allons. Là, on trouve une motivation naturelle, de l’aisance (même s’il faut travailler quand même, même s’il faut fournir des efforts), et du sens.

C’est que ce n’est plus l’ego qui dirige la danse, ce n’est plus l’ego avec son besoin de validation extérieure, et ses aspirations à la reconnaissance sociale, à la notoriété, à cocher les cases d’une certaine interprétation du succès.

Écouter son intuition demande de laisser aux autres la course à la richesse, la course aux hommages, et aux accolades. Faire pour soi, parce que nous sommes dans notre pleine lumière et notre pleine authenticité, et, paradoxalement peut-être, découvrir que c’est de là que naissent le succès et la notoriété même si, alors, nous n’en avons plus besoin.

Nous savons déjà ce que nous devons faire et nous avons déjà à disposition toutes les ressources dont nous avons besoin. Nous pouvons partir du postulat qu’il nous faut autre chose, être quelqu’un d’autre, et chercher à l’extérieur toujours plus de ressources, toujours plus de moyens pour faire ce qui doit l’être. Ou alors nous pouvons décider que les ressources à notre disposition sont largement suffisantes pour réaliser tout ce que nous voulons réaliser, la seule question pertinente est celle de savoir comment nous nous y prendrons.

Alors la vie devient toute autre. Au lieu d’une course à plus, à autre chose autrement, elle devient une réflexion qui ressemble à : « comment puis-je agencer ce que j’ai pour créer ce qui n’existe pas encore ? »

C’est là que l’effort prend sens. C’est là que survient la croissance réelle (celle qui est à la fois interne et externe).