Bienvenue à Om

Arrivé à destination, il se laisse tomber sur le lit de la chambre qu’il a louée dans une chambre d’hôtes perdue dans la forêt. Le plafond tourne au-dessus de lui. Une odeur d’humidité et de pin flotte dans la pièce. Ses paupières vacillent. Son corps n’obéit plus. Tout ce chemin pour dormir, vraiment ?

Il rêve d’une douche mais ses rêves l’emportent vers la ville qu’il a quittée sans un regard en arrière. Dix-huit ans de périple pour arriver à destination. Il est venu pour quelque chose, il avait une raison profonde de suivre cette route. S’il pouvait s’en souvenir il saurait quoi faire. Au lieu de cela, il se perd dans les rues de cette ville nouvelle, celle qui commence là où termine la forêt.

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“C’est étrange, se dit-il, assis sur un banc, de ne plus être en mouvement”

Respire. Soupire. L’air ici est différent. Plus… aérien

Écarte les paupières, fait vibrer tes pupilles. Les images ici ont de la profondeur. Elles sont denses, comme si tu regardais le monde véritable plutôt que son reflet holographique.

Dresse les oreilles et écoute. Le vent chante dans les feuilles, les rires cascadent dans les rues.

Importe-t-il tant de savoir ce qui t’a amené ici ? N’est-il pas suffisant d’y être arrivé, d’explorer, d’observer, de ressentir cet endroit ?

« Ceux que j’ai laissés derrière, attendent mon retour. Ils attendent que je rapporte ce que je suis venu chercher. Je vais les décevoir. »

Ils t’ont oublié.

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Rendu hagard par la fatigue et l’oubli, il marche lentement dans les ruelles d’un village de montagne. Il se laisse tomber sur un banc ou sur la margelle d’un puits. Il sort du village et s’aventure sur les pentes fleuries où paissent les vaches qui le regardent sans curiosité ni intérêt.

Qu’est-il à leurs yeux ? Un élément mouvant du décor ? Il a moins d’importance que les mouches qu’elles chassent en fouettant l’air.

Du sommet d’une butte, il contemple la vallée en mangeant les étamines d’une fleur de trèfle. Il se souvient de son enfance, des sauterelles qu’il capturait dans des pots de confiture, des rochers qu’il escaladait autour des pique-nique familiaux, quand tout le monde était encore là et que la vie était simple. Reste-t-il des myrtilles dans la montagne ?

Cet hiver, il n’y aura pas de neige. Les remontées mécaniques rouillent au-dessus des sentiers. Personne n’a pris la peine de les démonter. L’espoir naïf que le froid reviendrait a vidé les caisses. Lorsque la station a fermé, il n’y avait plus ni personnel ni financement.

Il s’invite dans des chalets abandonnés, s’allonge sur le parquet couvert de mousse. S’il ferme les yeux, il entend l’écho de conversations triviales, quotidiennes. Des rires. Des disputes. Surtout des informations factuelles partagées avec neutralité.

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De retour à Om, il défait son sac, dans la chambre de la chambre d’hôtes. Il n’a plus beaucoup d’affaires. La plupart de ses choses, il les a abandonnées, offertes ou perdues.

Il lui reste:

  • Un livre aux pages cornées, rempli d’annotations si bien que l’on ne sait plus si c’est le texte imprimé qu’il importe de lire ou l’écriture manuscrite qui a recouvert jusqu’au dernier millimètre de page blanche.
  • Un paquet de vieilles lettres froissées. Il n’a plus besoin de les lire tant il les a parcourues.
  • Une gourde remplie d’eau pure.
  • Une boîte fermée à clef, qui contient une clef, pour ouvrir la boîte.
  • Un bocal rempli de rires. Lorsqu’il le secoue, les rires rebondissent en étincelles contre les parois de verre. « Ces rires sont fatigués, pense-t-il en posant le bocal sur sa table de chevet, j’irai en récolter d’autres »
  • Un tricot de larmes, pour lui tenir chaud les soirs de cafard.

A suivre