Mécénat

Je devais avoir huit ou neuf ans la première fois que j’ai entendu parler des mécènes, ces créatures mystérieuses grâce à qui l’art arrivait. Il m’a fallu quelques années pour comprendre que les mécènes étaient simplement des gens qui achetaient leurs oeuvres aux artistes mais il ne m’a fallu que quelques secondes pour sentir que je voulais devenir mécène.

J’ai cru, parce que c’est comme ça que les histoires mes les ont présentés, que les mécènes étaient des personnes affluentes, qu’ils étaient assis sur des montagnes d’or dont ils ne savaient quoi faire. Si certains mécènes étaient sûrement très riches, je suis convaincu que la plupart ne l’étaient pas. Ils avaient simplement un peu d’argent à dépenser et choisissaient de s’offrir un portrait, un livre, une participation à la vie artistique.

Au lycée, j’avais un ami dont la famille était riche. Il y avait un cagibi dans sa maison, une petite pièce de deux ou trois mètres carrés, dans laquelle s’entassaient des toiles.

Le mécénat peut être envisagé de deux manières: par amour de l’art ou comme tactique de défiscalisation.

Depuis plusieurs années, cette idée d’être un mécène revient me chatouiller les moustaches. « Quand j’aurai de l’argent », je me disais. Alors je dépensais de l’argent dans des cours qui me permettraient de gagner l’argent que je pourrais ensuite utiliser pour financer des artistes.

Et puis j’ai compris.

Je n’ai pas besoin d’être riche pour financer des artistes. J’ai juste besoin de repenser mon budget. Dans les règles de vie que j’ai édictées au passage de mes trente ans, il y a celle-ci: être plutôt qu’avoir.

Pourtant, je continue d’accumuler des possessions matérielles (moins qu’avant, mais je continue quand même), d’être attiré par les magasins avec leurs objets qui brillent et qui m’appellent « Achète-nous, achète-nous! »… surtout quand c’est pour Seth ou pour mon entreprise.

Une photo originale d’un bon photographe contemporain coûte entre huit-cent et mille cinq cents euros, disons mille deux cents pour simplifier. Vous ne pensez pas pouvoir choisir de mettre cent euros par mois de côté pour permettre à un photographe de vendre une photo de plus cette année ?

Vous dépensez pourtant facilement 3,33€ par jour de manière inutile (oui, ça fait 100€ dans le mois, juste 3,33€ de dépensés en moins chaque jour, pendant un an)

A la fin de l’année, je serai heureux d’avoir une photographie originale alors que je regretterai les trois cent soixante cinq cafés industriels, les deux cent pains au chocolat, les deux-cent quarante bières, les cinquante redbulls… Ou pire: je les aurai oubliés.

Si nos vies sont la somme de nos souvenirs, notre argent ne devrait-il pas aller à des choses (objets, expériences…) dont nous nous souviendrons et qui aideront un artiste à continuer son art ?

L’an dernier, j’ai investi quatre-vingt euros (88!! c’est rien, 88€!) dans la campagne Ulule de mon amie Cécile. Aujourd’hui, ses photos sont exposées à Paris. Qu’aurais-je pu faire de mieux avec mon argent ?

Nous avons besoin d’art et de culture et nous pouvons tous participer à leur existence en coupant l’herbe sous le pied des intermédiaires. Directement du public au créateur et du créateur au public. Parce que les grands groupes n’ont pas à nous dicter ce que nous devons lire, écouter, regarder, aimer. Parce que la valeur de l’art est dans le regard de celui qui le reçoit.

Il n’y a jamais eu de meilleure époque pour être mécène.