Libre

Libre veut dire responsable

Libre veut dire choisir sa vie plutôt que d’attendre passivement qu’elle nous tombe dessus.

Libre veut dire suer et souffler sous le poids des efforts nécessaires pour créer le monde à l’intérieur duquel l’on désire vivre. C’est ne pas fuir la souffrance ou la peur. C’est accueillir l’ensemble des émotions, des déséquilibres, le chaos, et surfer sur l’imprévu avec autant de grâce que possible. C’est accepter de se rétamer et se relever, épousseter son costume et se remettre en selle sans attendre. Être libre, c’est avoir l’audace de dire: voilà la vie que je veux et la poursuivre avec intransigeance parce qu’à quoi bon vivre si c’est pour flotter dans le monde en suspension, sans prendre le risque d’aimer à la folie autant que possible, aussi souvent que possible, la même personne et des personnes différentes, juste aimer, aimer, aimer.

Aimer c’est être libre. Ou est-ce qu’être libre, c’est être libre d’aimer ?

C’est un sacré défi de vie. Mais à quoi bon vivre si ce n’est pour relever des défis im|possibles ?

Être libre, c’est prendre la barre dans la tempête

La tempête attend l’humain libre. C’est impossible autrement. Être libre c’est aller à l’encontre du monde, c’est refuser de se contorsionner pour entrer dans les cases trop étroites que d’autres ont établies et cherchent à nous imposer.

Être libre ce n’est pas s’affranchir des contraintes ou de la lutte, c’est diriger son navire droit dans les murs d’eau soulevés par la mer déchaînée. C’est affronter les brisants en riant comme un damné, parce que l’excitation de l’intensité – la vraie intensité, j’y reviens – est le plus puissant indicateur que la vie est là, pleine, entière, riante elle aussi.

La tempête effraie la plupart des gens. Elle les attire mais le risque est trop grand. Aller dans la tempête c’est pouvoir perdre son navire, sa cargaison, son équipage, ne jamais rentrer chez soi.

La tempête, c’est la vie. Dans ma relecture de l’Odyssée, je comprends le récit initiatique avec un regard différent. Ulysse, c’est le Soi en train de se former. Poséidon, c’est la force vitale du monde. Les épreuves d’Ulysse sont autant de tests de sa volonté d’être, de sa pulsion de vie.

La tempête c’est la vie pleinement vécue. Celui qui ne prend pas le risque de s’y perdre ne prend pas le risque de se trouver.

De la vraie et de la fausse intensités

Renard me souffle: « les gens rêvent d’une intensité qu’ils seraient incapables de soutenir s’ils la rencontraient ». J’ai une amie qui s’offre de gentils frissons en retrouvant les amours frustrés de son adolescence. Elle frissonne, frémit, ressent des choses intenses. Elle joue à se faire peur. Elle dit « c’est sans ambiguité » mais il n’en faudrait pas beaucoup pour qu’elle plonge de l’autre côté de cette expression.

Quand je lui demande ce qui la retient, elle me répond son mari, ses enfants, et puis ça ne se fait pas, et puis ça n’est pas facile.

Plonger dans la tempête c’est affronter la souffrance, le doute, la peur, l’arrachement à soi et aux autres… pour un temps… Parce qu’après la tempête, le calme revient, et le soleil perce les nuées et les liens sont toujours là, renforcés même par la tempête, et le rapport à soi est plus solide, plus conscient, plus confiant. Je sais mieux qui je suis, je connais mieux mes valeurs, j’ai survécu et j’ai atteint un nouveau palier de mon épanouissement.

La vie est un grand terrain d’apprentissage mais pour grandir, il faut subir des épreuves, c’est inévitable. Les épreuves viennent des remises en question, des défis, des habitudes confortables qu’il faut changer parce qu’elles nous empêchent d’atteindre nos objectifs les plus audacieux.

La véritable intensité c’est celle qui naît d’une vie d’ambition et d’audace vécue sans compromis, dans l’inclusion: « comment puis-je tout avoir ? » – « face à deux options, je prends les deux ».

Sortir de la culture du manque et de la mélancolie

Nous vivons dans une culture de l’exclusif, de la rareté. Nous fabriquons du manque là où il y a de l’abondance. L’amour est infini, la créativité est infinie, l’énergie dont je dispose est infinie, ma volonté est infinie, ma capacité d’écoute, de compréhension, d’empathie, sont infinies, mes ressources sont infinies.

Le discours que nous nous faisons rabâcher toute notre vie est un discours de la limite mais nous sommes illimités.

Chez ma mère, j’ai trouvé un livre d’Alain de Botton sur l’amour. Je l’ai lu et j’ai pensé: ses démonstrations sont intéressantes mais il se trompe de conclusions. Ce livre défend une esthétique de la frustration et de la mélancolie, pour habituer les gens aux sacrifices de l’amour.

Ce qu’il sacrifie, c’est la pulsion de vie, la recherche de la beauté, de l’épanouissement individuel et mutuel grâce à l’amour. Il prône un amour résigné.

Je revendique l’opposé. Un amour exigeant, qui ne tolère aucune résignation ; un amour de l’attention à l’autre, de l’acceptation totale et inconditionnelle de l’autre, de la responsabilité (je suis capable de répondre à mes propres besoins et je traite l’autre comme un adulte apte à répondre à ses propres besoins), de l’écoute, de l’encouragement à l’exploration intime, d’un dépassement constant de soi et de ses limites.

Illimité

Se résigner, c’est penser qu’il y a une fin à la croissance, à l’apprentissage, à l’expansion de soi et de ses capacités. C’est dire: je ne peux pas faire mieux. Mais tant que l’on vit, on peut faire mieux.

Cela ne signifie pas d’être insatisfait, c’est tout l’inverse. C’est parce que je vois où j’ai réussi à me hisser que je peux viser de plus hauts sommets. Sans dénigrer ni rejeter ceux que j’ai déjà atteints, mais parce que tant que j’ai du souffle, je grimpe. Il ne s’agit pas tant de chercher mieux que de s’acharner à s’améliorer, à améliorer le rapport que l’on entretient à ses valeurs, de mieux prendre soi de ses besoins, et d’accepter le changement.

« Tout ce que nous sommes, c’est du changement », affirme John Overdurf.

Ulysse aurait pu abandonner cent fois. Mais cent fois il a repris la mer. Il a parfois eu besoin de l’aide d’Athéna – comme nous tous – mais il a repoussé ses limites encore, et encore, et encore.

Être libre, c’est refuser la résignation parce que se résigner, c’est déjà mourir.