Il est donc possible de ne pas aimer la solitude ?

« Tu sais, j’aime pas trop être seul » m’a-t-on glissé un jour sur le pas d’une porte. J’ai cligné trois ou quatre fois des yeux, le temps de comprendre ce qu’on me disait. C’était donc possible ? On pouvait ne pas aimer plus que ça le tête-à-tête avec soi-même ? Il était possible de ne pas jubiler en sa propre compagnie !

Moi qui lutte à chaque instant pour arracher au monde des instants de silence et de vide, c’est un mur d’incompréhension qui s’élevait en moi.

Je n’en suis plus à croire que mes appétences soient partagées par le reste de l’humanité. J’en suis même plutôt venu à penser que j’étais un être étrange, peu compréhensible en-dehors d’un cercle restreint d’individus atypiques, aux vies animées d’idées marginales, mus par un irrépressible désir de descendre en soi pour y explorer les circuits et les embranchements secrets. L’aventure intérieure au risque de se perdre. Quelle aventure est complète si l’on ne risque pas de se perdre ?

Les personnes qui n’aiment pas trop être seules redoutent-elles d’entendre leur propre souffle ? Craignent-elles le murmure de leur voix ? Ou n’ont-elles simplement pas le goût des plongées intimes ? Évidemment, je ne comprends pas. Je n’ai pas besoin de comprendre. Cela ne me regarde pas.

Dans la solitude, je ne me sens plus contraint à me tordre ou de me taire pour faire de la place aux autres. Je me sens libre d’esquisser de maladroits pas de danse, d’expérimenter avec différentes tonalités possibles de ma propre voix. Je peux suivre le rythme que me dicte mon corps, dormir à 14h, manger à 17h12 plutôt qu’à midi, commencer ma journée à 23h plutôt qu’à 5. La nuit est mon foyer. L’orage est mon cocon.