La métaphore du jeu vidéo

C’est marrant, je me sens encore un peu pisseux quand je dis que je joue aux jeux vidéos, quand je dis que j’aime ça. Parce que je fais partie de la première génération à être née et avoir grandi avec un joystick dans les mains et que le paradigme que j’ai reçu c’était : les jeux c’est pour les enfants, c’est quelque chose dont on doit grandir. Parce qu’on n’est pas à un paradoxe près: je jouais aux dés, aux dominos et aux cartes avec mes grands-parents, à l’ordi avec mon père, aux jeux de société avec ma mère. Tous les adultes qui m’entouraient jouaient.

Mais le jeu vidéo, peut-être, était différent, parce que solitaire, parce que rivé à un écran, que sais-je ? (incidemment, j’ai trouvé ce livre de Serge Tisseron, que je suis en train de lire et qui m’éclaire sur cette question)

Toujours est-il que je joue. J’ai bientôt quarante ans et l’une des choses que je suis le plus content de posséder c’est ma PS4. Je joue peu, par vagues intensives, un peu comme je vis, en immersion pendant un temps dans une activité, puis pouf, en immersion dans la suivante. Et je joue comme un explorateur.

C’est sûrement ce qui m’attire le plus, d’ailleurs, dans cette activité : l’exploration. J’adore les livres et j’adore les histoires qui m’emmènent dans des mondes uniques et différents et pleins d’imagination. J’ai un peu de mal avec les grandes descriptions de paysages et de décors, ce n’est pas quelque chose qui me stimule. Quand je lis je cherche le mouvement. Je n’ai jamais eu, en lisant, cette sensation de pouvoir contempler un paysage impressionnant comme quand je suis, disons, à la montagne ou dans une forêt.

Dans le jeu vidéo, si.

Je peux explorer des mondes ouverts, me promener pendant des heures dans des lieux qui n’existent pas, des environnements passés ou à venir, des terres extraterrestres, des réalités parallèles. Un copain avec qui je joue de temps en temps, qui vise la réalisation des missions et le passage des niveaux avant tout, est ébahi par ma volonté de tout visiter, tout fouiller, d’ouvrir chaque tiroir, de remuer chaque recoin. Et moi par sa propension à passer à côté de tous ces trésors (pragmatiques ou esthétiques), par son indifférence au sens du détail des mondes que nous parcourons.

Question de tempérament. Plus le jeu est libre plus il laisse de place à la personnalité de chacun, à l’expression de ses spécificités. La plupart des titres de ma ludothèque attendent que je les termine. Ils sont pour moi des portails vers d’autres réalités, des avions que je peux emprunter pour visiter, pendant quelques jours, des destinations étrangères. L’histoire y est pour moi presque secondaire. Laissez-moi reformuler ça. L’histoire que les développeurs ont prévue pour être l’histoire principale s’efface pour moi devant l’histoire que je peux écrire en choisissant les actions de mon personnage, en décidant des lieux dans lesquels il s’attarde et ceux qu’il survole.

Red Dead Redemption 2

C’est ma grand-mère qui a fait ma culture du Far West. La petite maison dans la prairie, les Morricone, Bud Spencer et Terrence Hill, ont baigné mes passages chez elle. C’est resté un plaisir de gosse, c’est un univers qui ne m’a que très vaguement suivi dans l’adolescence (surtout avec Blueberry) et plus du tout à l’âge adulte. Même la dimension western de Westworld m’a laissé relativement froid.

Mais Red Dead Redemption 2 c’est une promesse. La promesse de grands espaces, de PNJ vivants, d’une nature bruissante de rencontres, et d’une infinité de recoins où fouiner. Rockstar est un studio qui a amplement fait ses preuves avec moi, un studio auquel je fais confiance pour m’offrir des expériences mémorables.

L’action mise en avant, les fusillades, le réalisme des armes, m’excitent moins que la perspective de tirer mon cheval dans la neige, de courir sur des trains en mouvement, d’écouter les histoires de mes compagnons autour d’un feu de camp. J’ai hâte de me perdre dans les forêts, de marcher le long des canyons à l’horizon infini, et de jouer au poker dans des tripots enfumés.

Univers

Ce qui m’attire dans un jeu, dans un roman (merci Emily St. John Mandel, merci William Gibson), c’est l’univers dans lequel il me transporte. Quelque part, ce qui m’attire dans une histoire à écrire c’est aussi sa capacité à m’entraîner dans de nouveaux lieux, même si ceux-ci sont parfois (souvent ces dernières années) internes.

Dans Les larmes félines, je prends plaisir à découvrir les nuances de cette communauté de magiciens, le sens que la magie a pour chaque pratiquant, la diversité du rapport que les individus ont avec cette réalité de leur monde. C’est pour moi plus intéressant que l’intrigue elle-même.

Ce que l’écriture me permet c’est aussi de découvrir comment différentes personnes vivent le même monde différemment, comment il n’y a pas une mais plusieurs réalités qui se côtoient avec la même légitimité et la même justesse. Certains joueurs veulent remplir les missions tandis que pour d’autres la mission est un prétexte à la découverte du monde. Ce qui compte c’est que l’expérience de chacun lui convienne, l’émerveille et le remplisse de joie, de la joie simple d’être là, participant d’un monde qui lui offre cette opportunité d’enrichir son vécu.

À ce stade ce n’est même plus une métaphore, c’est un parallèle direct avec la vie dans laquelle tous nous cherchons à écrire notre histoire, celle que nos pas décident de tracer dans le monde ouvert, si riche, si abondant, si débordant d’opportunités, qui est offert à nos foulées.

La question de l’authenticité, dans notre réalité, est-elle autre chose que celle-ci : trouver comment nous prenons une place dans le monde qui vibre de notre justesse ?