Dragons

« Le combat continue mais contre de nouveaux dragons »

Ma lame ruisselait du sang de la créature que je venais de terrasser. Le dragon avait poussé son dernier cri rauque et le ciel s’était dévoilé, bleu intense. Quelque part, un toucan s’était envolé.

Je tombai à genoux, traversé par le vide. Un espace venait de se libérer en moi, un mur venait de s’effondrer. Le dragon vaincu, j’avais élargi mes horizons mais ce qui m’envahissait c’était une nostalgie venue des profondeurs. Maintenant que mon adversaire était à terre, je n’avais plus de destination.

Le dragon m’empêchait de me concentrer sur les aspects importants de ma vie. Il y avait ces missions que je voulais remplir et le dragon s’acharnait à détruire chaque tentative de construction. J’étais parti en lutte contre lui pour me libérer et maintenant qu’il était mort, je me sentais orphelin.

J’avais consacré tant d’énergie à cette lutte, tout ce temps passé à le traquer, à parfaire ma maîtrise des armes, à me confronter à lui. Tous ces combats dont j’étais sorti perdant, noirci par la suie, ensanglanté, les os brisés. Ils avaient porté ma vie, donné une direction à mes efforts. L’équation de mon existence était simple: me battre ou mourrir.

Voilà que le combat était terminé mais moi j’étais toujours debout. Ma persévérance avait payé et je me sentais orphelin. Je n’aurais pas pensé devoir faire le deuil de mon adversaire. Je m’étais imaginé… je ne m’étais rien imaginé du tout. Je réalisais que dans mon esprit, le combat était, que justement, je n’imaginais pas ma vie sans lui. J’avais espéré ce moment mais sans y croire.

Je restai là, silencieux, l’esprit vide.

La nostalgie se mêlait au bien être. La légèreté, le soulagement. Les briques étaient tombées et révélaient un nouvel espace de possibilités. Il me faudrait du temps pour décider ce qui remplacerait la lutte. L’ivresse du combat m’avait contaminé, je n’envisageais pas ma vie sans bataille.

En ville, buvant à la santé de mon noble adversaire, je n’arrivais pas à me réjouir de sa disparition. La serveuse, peut-être à la recherche d’un bon pourboire, prit le temps de m’écouter.

« Le combat continue mais contre d’autres dragons », conclut-elle.

Je souris à ça.