Ce truc que j’appelle ma vie

Il y a des jours où j’aimerais trouver le bouton reset de mon existence.

Recommencer au début du jeu, tout reprendre à zéro. Faire mieux, cette fois.

La vérité c’est que je ne sais pas encore si la vie est une grande aventure exaltante ou une vaste supercherie. J’oscille entre la certitude qu’elle a du sens et la conviction qu’elle est vaine.

Je me dis qu’en reprenant au départ je pourrais faire d’autres choix et trouver une vie plus paisible que ce brouillon d’existence que je me suis bricolé.

Quelle direction prendre ? Quel but suivre ? On me dit que les objectifs sont structurels, je les crois arbitraires.

On me dit de trouver mon essence, ma mission, mon âme et je ne découvre que des accidents: né ici, à cette époque, dans ce milieu, je suis imprégné d’une culture qui m’est tombée dessus par hasard.

Je regarde autour de moi tous les gens qui ont l’air de savoir ce qu’est la vie, qui savent distinguer les « winners » des « losers » et je me dis qu’ils ont de la chance de vivre avec de tels niveaux de certitude mais je ne vois pas comment les rejoindre sans perdre pied avec la réalité.

Naïvement, enfant, je croyais que quelque chose se mettait en place quand on devenait adulte, qu’un interrupteur s’enclenchait et que d’un seul coup la lumière se faisait. Elles avaient l’air de savoir ce qu’elles faisaient, les « grandes personnes ». Force m’a été de constater que ce n’était pas le cas, que les histoires que je lisais dans les romans n’étaient pas de simples jeux de l’esprit mais l’expression d’une détresse existentielle qui, pour autant que je puisse en juger, est à la fois terriblement réelle et universelle.

Quel est ce jeu tordu dans lequel nous projette notre naissance ? Quel esprit pervers en a inventé les règles ? La conscience de soi passe pour être la plus grande innovation de la nature mais c’est aussi la plus cruelle.

Être projeté dans sa vie et la traverser, comme en apesanteur

Être jeté dans cette arène sans entraînement ni équipement, voir passer le temps et les émotions, voir le monde qui avance entre les mains des autres et se sentir dépossédé de son expérience, tenter malgré tout de laisser sa marque ou de créer quelque chose de remarquable… ou abandonner.

Ils sont nombreux les naufragés résignés.

Malgré tout je m’accroche. Je tiens bon, comme Ulysse avant qu’il ne s’échoue sur l’île de Nausicaa.

Redémarrer. Recommencer à zéro. C’est tentant.

Il paraît que la vie n’est pas une question d’avoir les bonnes cartes en main mais de jouer la meilleure partie possible avec celles qui nous sont données. Mais selon quels critères ? Où est caché le livret de règles ?

Je me demande s’il ne me manque pas une pièce, s’il n’y a pas quelque chose d’irrémédiablement défaillant en moi, en tout cas pour ce monde.

Et puis je me souviens de cette phrase d’Alice: « Mais alors si la vie n’a aucun sens, qu’est-ce qui nous empêche d’en inventer un ? »  et je me dis que non, il ne me manque rien et que dans ces moments-là, c’est juste le vertige d’avoir la possibilité de choisir mes règles qui me prend à la gorge. Parce que cette conscience aiguë de l’arbitraire de la vie c’est aussi la conscience de son incroyable plasticité.

Inventer ses règles

Inventer ses règles c’est n’attendre de personne la permission d’être soi, n’attendre de personne la définition de soi. C’est s’affranchir des structures imposées par les accidents de la naissance et de la culture et se poser la question de ce que l’on veut puis, ayant élucidé celle-ci, se demander: quelles structures dois-je créer dans ma vie pour obtenir ce résultat ?

Changer de croyances, changer l’organisation de l’espace, de la matière, de son temps. Prévoir un emploi du temps qui colle avec ses objectifs, se déshabituer pour faire davantage de place à de nouveaux rituels, plus adaptés à ce que l’on souhaite devenir.

Et devenir quoi au juste ? Ce que l’on décide.

Si la vie est un grand terrain de jeu, une grande expérience destinée à nous faire progresser et avancer dans l’existence, alors nous devons en profiter pour l’explorer aussi loin que possible.

« Aussi loin que possible » ne signifie pas de croire que l’herbe est toujours plus verte chez le voisin, et surtout pas que l’on ne sera bien qu’une fois que l’on sera arrivé (où ça d’ailleurs ?), ni de se demander sans cesse comment ce serait, autrement.

Aussi loin que possible c’est se mettre en expansion, s’ouvrir à la vulnérabilité. Cesser de chercher le sens des choses c’est accepter qu’il n’y ait rien à trouver à part soi. Et qu’y a-t-il une fois qu’on en est là ?

S’écouter, comprendre ses besoins, les exprimer. Cesser de chercher hors de soi ce qui ne peut venir que de l’intérieur, du courage d’être seul et de celui d’aller vers l’autre. Rencontrer l’altérité et s’ouvrir à elle.

« Je crois que j’ai trouvé ma place: ni envahissant ni négligent », je dis à Marie et Sofia. « J’ai aussi compris que pour être à cette juste place, il me suffisait de demander à l’Autre ce qu’il voulait ».

Avant je cherchais à deviner. Comme s’il y avait de la faiblesse dans le fait de poser des questions, dans le fait de s’intéresser avec générosité et curiosité: « tu veux quoi ? » ; « Quelle place tu veux que je prenne ? »

Quand tu me racontes tes doutes, je me demande si je dois intervenir alors je te le dis: « je ne sais pas si je dois te donner un conseil ou juste t’écouter et acquiescer ». Tu me réponds: « Je crois que j’avais juste besoin de m’épancher, de partager ce que j’avais sur le coeur ».

Je souris.

Se pourrait-il que le sens de la vie soit aussi simple: s’autoriser à être soi et encourager l’Autre à faire de même ?

Finalement, ce n’est pas le bouton reset que je cherche, c’est d’arrêter de m’acharner frénétiquement sur toutes les touches de la télécommande et de me contenter d’appuyer sur « Play ».